Lymphocytes B et anticorps : super-armes pour contrôler le VIH

A. Rouers et al., HIV-Specific B Cell Frequency Correlates with Neutralization Breadth in Patients Naturally Controlling HIV-Infection. Ebiomedicine, May 2017.

Et s’il existait des super-héros contre le VIH ? Ils sont rares, mais ils existent ! On les appelle les contrôleurs naturels du VIH. Qui dit super-héros dit super-pouvoirs : ces patients sont capables de contrôler l’infection par le VIH sans aucun traitement. Parfois depuis plus de 10 ans ! Mais comment font-ils ? De nombreuses explications ont été proposées par les chercheurs ces dernières années. En voici une de plus dans ce Papier à la Une et une fois n’est pas coutume, il s’agit de mes travaux 😉

Un contrôle exceptionnel

L’infection par le VIH se décline généralement en 3 phases(1). Lors de  la primo-infection, le virus s’attaque massivement aux lymphocytes T CD4(2) et les détruit. D’autres lymphocytes T (les CD8(3), non touchés directement pas l’infection) interviennent pour calmer le virus et rétablir un stock de lymphocytes T CD4. Vient alors la phase chronique pendant laquelle le virus continue lentement mais surement à détruire les lymphocytes – acteurs clés de nos défenses immunitaires – jusqu’à passer sous un seuil critique ne permettant plus à notre corps de se défendre correctement contre les infections les plus anodines. C’est la phase SIDA : le syndrome d’immunodéficience acquise.

 

Schéma représentant les 3 phases de l'infection : primo-infection, phase chronique et phase SIDA

L’infection par le VIH se décline en 3 phases. Les traitements permettent généralement de stabiliser les patients en phase chronique.

 

Heureusement, depuis le milieu des années 90, des traitements(4) ont été mis au point. Grâce à eux, les patients restent à un état stable en phase chronique et n’atteignent généralement pas la phase SIDA. Pourtant, certains patients réussissent à contrôler naturellement, c’est-à-dire sans aucun traitement, l’infection par le VIH. Chez ces patients, la quantité de virus reste sous les seuils de détection mais il est tout de même bien présent. Comment l’expliquer ? C’est ce que les chercheurs tentent de comprendre car trouver des réponses à cette énigme ouvrirait sur d’incroyables perspectives. Imaginez que l’on puisse utiliser ces connaissances pour développer de nouvelles stratégies de contrôle et peut être d’élimination du VIH pour les patients qui n’ont pas la chance d’avoir ces super-pouvoirs…

Les anticorps – encore eux !

Vous devez croire que les chercheurs vouent un culte aux anticorps aux vus du nombre d’articles à leur propos sur Chercheur&Co. C’est simplement que ces molécules sont des armes de choix contre les infections. D’autant plus dans le cas de l’infection par le VIH où les anticorps peuvent parfois avoir des capacités de neutralisation exceptionnelles contre le virus… Mais encore une fois, pas chez tout le monde !

C’est justement l’objet de ces travaux. Nous avons montré que les patients contrôleurs du VIH(5) produisent ces fameux anticorps hautement neutralisants. Souvenez-vous, les anticorps sont fabriqués par les lymphocytes B. Bien que ces lymphocytes ne soient pas touchés directement par le VIH, l’ensemble du système immunitaire est tout de même impacté d’une manière ou d’une autre par cette infection dévastatrice. Ainsi, il n’est pas rare d’observer un dysfonctionnement des lymphocytes B et donc des anticorps lors de l’infection par le VIH, particulièrement lorsque les patients ne sont pas traités. A nouveau, les traitements ont fait leur preuve et permettent de faire fonctionner le système un peu près correctement mais pas suffisamment pour guérir totalement dans tous les cas !

Là encore, nos super-héros contre le VIH n’ont pas besoin de traitements pour conserver un stock de super-lymphocytes B (encore mieux : de lymphocytes B spécifiques du VIH !). C’est peut-être pour ça qu’ils produisent de super-anticorps.

Les anticorps – Oui – mais pas que…

La capacité à contrôler l’infection par le VIH est probablement une histoire de génétique à la base. Et nous ne sommes malheureusement pas tous égaux sur ce point. Le hasard des choses fait que certaines personnes ont dans leur ADN des gènes qui vont favoriser de bonnes défenses contre l’infection par le VIH. En quelque sorte, si les contrôleurs fabriquent des super-anticorps ça serait avant tout parce que leurs gènes leur dictent comment faire.

Oui mais ce n’est pas si simple… car bien que quelques gènes aient été identifiés comme de bon marqueurs pour se défendre contre le VIH, certaines personnes (qui expriment pourtant bien l’un de ces gènes !) ne font pour autant pas partir du club très fermé des contrôleurs. Il reste encore certaines énigmes à résoudre. Dans tous les cas, les contrôleurs sont surement tous différents et n’utilisent pas tous les mêmes mécanismes pour freiner le virus qui les a infectés.

De plus, un terrain génétique favorable ne dicte probablement pas que la production de super-anticorps dirigés contre le VIH. D’autres chercheurs ont montré que le contrôle naturel du VIH pouvait s’expliquer par la fabrication de lymphocytes T CD8(2) super efficaces pour lutter contre le virus. C’est notamment en se basant sur ces observations que les chercheurs avaient eu l’idée de booster un peu les lymphocytes T CD8 contre le VIH : un autre Papier à la Une à (re)découvrir par ICI.

 

Glossaire

(1) Primo-infection, phase chronique et phase SIDA.
(2) Sous-population de lymphocytes T (provenant du thymus) exprimant à leur surface la molécule CD4 : la porte d’entrée du VIH !
(3) Autre sous-population de lymphocytes T exprimant la molécule CD8 à leur surface. Ces lymphocytes ont la capacité de reconnaître et éliminer des cellules infectées. D’où leur autre nom : lymphocytes T cytotoxiques.
(4) les traitements antirétroviraux agissent en bloquant la rétro-transcription du VIH. Cette action empêche donc la transformation de l’ARN du virus en ADN, une étape normalement indispensable pour aller ensuite s’intégrer dans le génome de la cellule cible.
(5) Dans cette étude, les patients contrôleurs font partie d’une cohorte française appelée CODEX (pour Cohorte des Extrêmes). Le virus est indétectable dans leur sang et ils contrôlent l’infection sans traitement depuis 10 ans en moyenne.

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